Le Voyant

“Le cheval est un médium.  Il est doué d’un sixième sens.

Il sent tout, il sait tout de nous, même ce que l’on lui cache.

Nos douleurs enfouies, nos regrets et nos remords inavoués, il les décèle et les porte sur son dos large, impassible et musculeux.

Il sait reconnaître, à son poids, à son usage des aides (*), au battement de son cœur, le prétentieux, le modeste, le courageux, le craintif, le sourcilleux, l’inconscient.

Il est indulgent avec les fragiles mais ne passe rien aux acrimonieux. Il n’a pas besoin de voir pour comprendre […].

Il ne donne qu’à proportion de ce qu’on lui offre. Il se confie seulement à qui veut bien, en silence, se confier à lui.

La solitude le déprime. C’est un être très sociable, mais pas mondain. Il exige du tact, réclame de la complicité, demande qu’on murmure à son oreille, ne progresse que dans l’insinuation et la délicatesse.

A condition qu’on l’aime, il est capable d’exploits extraordinaires. Il est équitable, et l’iniquité lui fait horreur : les ordres irraisonnés le bloquent, les commandements violents le braquent, les punitions injustes le révoltent, mais la générosité décuple ses forces.

Il est la version animale du juge de paix. […] Le cheval est un voyant hypermnésique. Lui aussi a un regard intérieur. Et la nuit, sa complice, ne lui fait jamais peur.”

Jérôme Garcin – Le voyant – Ed. Gallimard